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Bois de chauffage : faut-il continuer à brûler la forêt ?

C’est l’hiver, il fait froid, alors quoi de mieux qu’un bon feu de cheminée pour se réchauffer ? Confortablement installé dans votre fauteuil préféré, vous regardez les bûches se consumer dans de légers crépitements et sentez de douces vagues de chaleur apaisante caresser votre visage. Les flammes dansent en imprimant dans l’obscurité de l’âtre des arabesques sans cesse renouvelées. Fascinant.

feu de cheminée

Vous pensez que vous avez vraiment eu raison de remplacer votre vieille chaudière au fioul par cette superbe cheminée. Et puis c’est bon pour la planète, tout le monde le dit, vous avez même eu le droit à une réduction d’impôts sur le prix de l’installation.

D’ailleurs, il suffirait de taper « bois de chauffage écologie » sur internet pour vous prouver de manière définitive que vous avez eu bien raison. Et c’est d’ailleurs ce que vous faites, puisque le portable connecté à la wifi est à portée de main. Les résultats de la recherche s’affichent en 0,59 seconde.

Le bois vraiment écologique ?

C’est la douche froide. Passées les annonces des vendeurs de cheminées, qui évidemment militent tous pour la bûche et le pellet, vous vous prenez en pleine face un florilège d’obscénités [1] :

Articles de presse sur le bois énergie

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Se chauffer au bois ? Peut-être pas si écolo ...

Les chiffres sont malheureusement implacables, et torpillent votre autosatisfaction écologiste : une stère de bois peut dégager environ 2000 kWh de quoi chauffer une maison pendant un ou deux mois. Mais en émettant environ 760 kg de CO2 [2].
A titre de comparaison, votre bonne vieille chaudière produisait la même quantité de chaleur avec 200 litres de fuel et en émettant 550 kg de CO2, soit 25 % de moins ! [3]

Bon bien sûr les choses ne sont pas aussi simples. Vous le savez, un nouvel arbre a été replanté et est en train repousser à la place de celui qui brûle dans votre cheminée, réabsorbant tout le CO2 par photosynthèse. Par exemple, 1 m³ de bois vert pèse environ 850 kg, soit à peu près 550 kg de matière sèche (cellulose, lignine,…) ce qui représente environ 275 kg de carbone. Et la combustion de ce bois dégagera 1 T de CO2 [4] qui sera réabsorbé par photosynthèse par le nouvel arbre replanté :

graphique : capture et émission du CO2 par un arbre.

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Émission de CO2 et réabsorption par le nouvel arbre en croissance.

Et bien ce n’est pas génial : vous brûlez le bois un ou deux ans après la coupe (le temps que le bois sèche), émettant aussitôt du CO2 qui n’est éliminé de l’atmosphère qu’après plusieurs décennies, au moins un demi-siècle pour un chêne !
Vous avez donc ajouté dans l’atmosphère un petit stock de CO2, temporaire certes, mais bien réel, et qui va contribuer activement à l’effet de serre et au changement climatique.
Vous êtes-vous donc fait avoir, vous qui vouliez vous acheter une bonne conscience écologiste ? Allez-vous devoir vous plaindre à l’installateur qui vous a vendu cette cheminée et qui manifestement vous a menti ?

Laissez donc les forêts tranquilles !

En attendant peut-être devrait-on laisser les forêts en paix… D’ailleurs que se passe-t-il lorsqu’une forêt n’est pas exploitée ? Les arbres croissent en absorbant le CO2, puis au bout de plusieurs décennies ou quelques siècles, ils meurent, le bois se décompose dans les sols et le carbone retourne dans l’atmosphère … et oui tout arbre, qu’il meure naturellement ou qu’il soit exploité par des humains finira toujours par retourner dans l’atmosphère sous forme de gaz carbonique.
C’est le cycle du carbone, et au bout du compte, dans une forêt naturelle, les quantités émises de CO2 sont à peu près égales à celles absorbée. De plus, avec ses arbres centenaires, la richesse de ses sols et sa biodiversité, la forêt peut stocker une grande quantité de carbone qui sans cela serait libéré dans l’atmosphère sous forme de gaz carbonique. C’est ce qu’on appelle un puits de carbone.

Le cycle du carbone d'une forêt naturelle

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Flux et stocks de carbone pour une forêt naturelle.

Et que se passe-t-il donc lorsque les bûcherons débarquent dans ce paradis de verdure avec leurs tronçonneuses ?
Lorsque la forêt est exploitée pour du bois énergie, les prélèvements réduisent un peu le stock de carbone constitué, qui se retrouve alors rapidement dans l’atmosphère sous forme de CO2. Mais pour les flux, le cycle reste fermé : le CO2 émis par la combustion l’aurait été de toutes façons, mais avec un décalage temporel :

Le cycle du carbone d'une forêt exploitée

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Flux et stocks de carbone pour une forêt exploitée.

Mais pour cela il faut bien sûr que la forêt soit exploitée de manière durable, c’est-à-dire que la végétation prélevée ait le temps de repousser. Ainsi une forêt française stocke en moyenne 138 T de carbone par hectare, la majorité se trouvant dans les sols [5]. Démarrer son exploitation va dans un premier temps transférer une petite partie de ce stock de carbone du bois vers l’atmosphère, puis dans un deuxième temps, après plusieurs décennies, la neutralité carbone est atteinte avec un équilibre entre émission et absorption :

graphique : évolution du stock de carbone de la foret

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Évolution des stocks de carbone d'une forêt exploitée.

Alors c’est bien ou c’est mal ? Envisageons deux cas : le premier est celui où une forêt est exploitée depuis longtemps, ce qui est fréquent en France. Continuer son exploitation n’aura aucun effet sur l’augmentation du gaz carbonique dans l’atmosphère. C’est d’ailleurs ce qu’a retenu l’ADEME en neutralisant la combustion du bois pour évaluer son impact carbone.

Le deuxième cas est moins sympathique : on démarre l’exploitation d’une forêt qui ne l’était pas, par exemple pour répondre à une demande accrue de bois de chauffage. Comme on l’a vu, ce ne sera pas neutre avant plusieurs décennies. Mais pour être tout à fait honnête, il faut aussi se poser la question : comment aurait-on produit l’énergie dont on a besoin sans ce bois ? Peut-être avec du fioul ou du gaz ? Regardons ce que cela aurait donné :

graphique : comparaison des émissions de CO2 du bois vs énergie fossile

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Comparaison des émissions de CO2 entre du bois et une ressource fossile.

A court terme, l’énergie fossile émet certes moins de CO2 car elle est plus efficace (moins d’émission pour la même quantité d’énergie) que le bois. Mais à long terme, l’utilisation du bois à la place de l’énergie fossile permet d’éviter l’accumulation des émissions de CO2 !

Pour conclure

Vous voilà donc rassuré. Votre passion pour les soirées cosy au coin du feu ne vous rend pas coupable de dérégler le climat. Mais tout dépend de la manière de voir les choses :
du point de vue des flux, c’est-à-dire des échanges de CO2 avec l’atmosphère, l’exploitation de la forêt pour du bois de chauffage est neutre, à condition que ce soit fait de manière durable. Et elle permet même, en se substituant aux énergies fossiles d’éviter des émissions supplémentaires de CO2. Non, de ce point de vue-là, vous n’avez pas à regretter l’acquisition de votre superbe cheminée.
Mais si l’on regarde les stocks de carbone, une forêt trop exploitée sera un moins bon puits de carbone, surtout si l’exploitation est trop intensive et ne laisse pas le temps à la végétation de repousser. Attention donc à vous fournir en bois issu de forêts gérées de façon raisonnée. La prochaine fois que vous commanderez votre bois de chauffage, vous ferez attention à ce point, c’est promis.

Enfin, l’exploitation de la forêt permet en choisissant les essences replantées d’aider la forêt à s’adapter aux misères du changement climatique : sécheresse, canicules, parasites, ...
Et pour terminer, nous n’en avons pas parlé car ce n’était pas l’objet de cet article, l’exploitation des forêts présente aussi l’avantage de créer un nouveau stock de carbone en dehors des forêts, dans les charpentes, les maisons en bois, le mobilier...
Vous voilà donc écologiquement réconcilié avec votre foyer. Et vous n’êtes pas le premier : bien avant l’électricité, bien avant le pétrole et les moulins, nos lointains ancêtres eux aussi appréciaient la chaleur du feu de bois.

hommes préhistoriques autour du feu

Publié le 30 décembre 2021.

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